Manifeste d’une espèce suicidée par l’ingénierie nucléaire

Article écrit par Bertrand Rouziès Léonardi, initialement publié le 4 avril 2014 dans le Club de Médiapart

Attendu qu’il y a eu Three Mile Island en 1979 sous régime capitaliste ;

Attendu qu’il y a eu Tchernobyl en 1986 sous régime communiste ;

Attendu qu’il y a eu Fukushima en 2011 sous régime capitaliste ;

Attendu qu’il serait incongru de continuer à prétendre qu’un régime politique l’emporterait en qualité d’expertise sur son rival, la preuve ayant été apportée par trois fois et aux dépens de l’humanité tout entière que l’expertise, sous quelque drapeau qu’elle se range, a travaillé et travaille encore à sécuriser la rente nucléaire plutôt qu’à sécuriser les sites nucléaires ;

Attendu que la production d’électricité nucléaire est l’alibi et la couverture civile d’une industrie militaire génocidaire, les réacteurs faisant mijoter de l’uranium et du plutonium, éléments constitutifs des bombes nucléaires ;

Attendu que l’arme nucléaire, arme d’anéantissement global, n’est pas une arme de guerre - si l’on pose que la guerre n’a pas pour objectif d’éradiquer toute vie chez l’ennemi comme chez soi -, mais l’artefact ultime d’une industrie nihiliste et inhumaine ;

Attendu que les apôtres de la dissuasion nucléaire et de l’indépendance énergétique par le nucléaire, à la lueur de ce qui précède, doivent être considérés comme des ennemis du genre humain et traités juridiquement comme tels ;

Attendu que le slogan « l’atome au service de la paix » (Eisenhower) est un leurre censé faire oublier que des bombes nucléaires, les docteurs Folamour de la géostratégie en ont déjà fait exploser des milliers (plus de 2 000 « essais » officiels, et combien d’officieux ?) depuis les assassinats de masse, parfaitement inutiles sur le plan militaire1, mais très utiles sur le plan expérimental, d’Hiroshima et de Nagasaki, en août 1945 ;

Attendu que les armées contemporaines font un usage immodéré des munitions à l’uranium « appauvri » (qui aura « enrichi » en cancers les victimes collatérales des tirs)2 ;

Attendu qu’en plus de la radioactivité naturelle, qu’en plus des résidus de bombes encore actifs, les sites nucléaires (centrales, usines de « retraitement », aires de stockage) diffusent en permanence et légalement des radionucléides artificiels dont seul un âne ou un bonimenteur pourrait affirmer sans ciller que les quantités ne sont pas nocives3 ;

Attendu que les experts ès dosages de l’industrie nucléaire croient, comme Paracelse au XVIe siècle, que la dose fait l’empoisonnement et paraissent ignorer que c’est la complexion de l’individu qui fait l’empoisonnement4, que « l’infime » et le « négligeable » peuvent tuer ;

Attendu que les nucléocrates et les nucléologues5 ou ne savent rien ou en savent autant que nous et font comme si de rien n’était ;

Attendu que le « choix » français du nucléaire n’a pas été fait par l’ensemble des Français, jamais consultés sur la question, mais par un cartel de militaires, d’ingénieurs, d’industriels, de hauts fonctionnaires et d’hommes politiques immoraux, cupides et nihilistes, par une secte d’apprentis-sorciers obnubilés par les manifestations éjaculatoires de la surpuissance6 et prêts à sacrifier leur peuple, tous les peuples à leur Moloch obscène et vorace ;

Attendu que les citoyens du monde ne peuvent guère compter, pour les protéger des lobbyistes de l’atome, sur le renfort de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), institution internationale dont l’objet est pourtant de garantir la pérennité de l’espèce dans un environnement sain, puisque l’OMS a signé en 1959 un accord avec l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) qui l’oblige à « prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de certains documents » (Article 3), obligation qui explique la non-publication des actes de la conférence qui s’est tenue en novembre 1995 sur « les conséquences de Tchernobyl et d’autres accidents radiologiques sur la santé » ;

Attendu que le peuple français ne peut pas davantage compter sur ses dirigeants ni sur ses savants, lesquels, dans leur grande majorité, tous partis et toutes chapelles confondus, voient dans l’industrie nucléaire une industrie prometteuse, lucrative ou, pour les plus lucides d'entre eux, un pis-aller, par comparaison avec l’industrie du charbon ;

Attendu que l’opérateur historique, EDF, ment sur le coût réel de la production d’électricité d’origine nucléaire en n’y intégrant pas le coût, sur des milliers de générations7, du retraitement des déchets, du démantèlement des centrales et de la surveillance des sites pollués, ni le surcoût assurantiel découlant d’une dangerosité inédite parce que globale et transfrontalière ;

Attendu qu’une simple prise en compte de ces coûts dissimulés ferait de l’industrie nucléaire l’industrie la moins rentable, la moins profitable de toutes, et certes pas un motif de fierté nationale ;

Attendu qu’on ne peut pas « sortir du nucléaire », puisque la gestion des déchets et la dépollution des sites embarquent d’ores et déjà l’humanité dans un cauchemar environnemental, sanitaire et financier pour des dizaines de millénaires, autrement dit pour l’éternité ;

Attendu que la rétention d’information par les autorités concernées et leur condescendance à l’égard des citoyens qui les questionnent montrent assez que le complexe nucléaire s’est construit en dehors du périmètre démocratique, voire s’est construit contre la démocratie elle-même ;

Moi, citoyen lambda mais rouage essentiel, s’il fallait le rappeler, de la démocratie représentative, moi co-chargé de famille, moi complice involontaire, du fait de mon mode de vie encore trop énergivore, d’une industrie de l’atome hors de contrôle, techniquement et politiquement parlant, moi cobaye non consentant de la plus grande expérience de dissémination aérienne, aquatique et terrestre d’éléments mortels jamais imaginée et mise en œuvre de mémoire d’homme, je demande, en mon nom propre, au nom des habitants des pays voisins et éloignés du nôtre, au nom de tous les citoyens du monde qui méconnaîtraient le choix du nucléaire que nous, Français, aurions fait, au nom des générations futures à qui nous ne laisserons aucun choix si nous persistons à supporter sans broncher cette folie d’une minorité, au nom de tous ceux-là, qui sont ma raison de vivre, je demande :

- L’organisation immédiate d’un référendum sur les orientations énergétiques de notre pays et le type de défense que nous voulons ;

- Le lancement immédiat d’un audit sur les contrats d’assurance de nos sites nucléaires, pour autant que les risques incalculables qu’ils représentent soient couverts (l’opérateur de la centrale de Fukushima, TEPCO, n’était plus assuré depuis 2010 lorsque le tsunami a déferlé sur ses installations) ;

- Le transfert de la moitié des sommes colossales allouées à la recherche sur les conflagrations atomiques (fission, fusion) et subatomiques (collisions de hadrons), qui relèvent du chamboule-tout infantile, à la recherche sur les économies d’énergie et la captation des forces naturelles tangibles, et le transfert de l’autre moitié aux opérations de cantonnement et de réduction des déchets, ainsi qu’à la dépollution en profondeur des sites nucléaires désaffectés ;

- Le démantèlement progressif, sous contrôle démocratique, de toutes les centrales existantes, en fonction de leur âge, sans possibilité de rallonge ;

- L’affectation prioritaire et obligatoire des nucléocrates et des nucléologues aux opérations de « nettoyage » ;

- La qualification en crime contre l’humanité, seul crime imprescriptible en droit français, de toute apologie du nucléaire, de tout soutien politique, scientifique, matériel et financier à l’industrie nucléaire ;

- La réclusion à perpétuité sur les sites à « nettoyer » pour les hommes et les femmes qui se rendraient coupables d’un tel crime (la pollution radioactive est perpétuelle à l’échelle du temps humain) ;

- La dénonciation de tous les contrats signés au nom de la France en faveur de l’industrie nucléaire par un personnel politique stipendié, qui n’a pas reçu mandat du peuple français pour servir les intérêts de la Faucheuse.

J’invite enfin tous les peuples des nations auxquelles l’État français essaie de vendre ses EPR et qui, depuis plus de cinquante ans, comme tout le monde, pâtissent de son « choix » à faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour que les contrats ne soient pas signés. Je les invite également à poursuivre devant le TPI (Tribunal Pénal International) le gouvernement et le président français sous le chef d’accusation de crime contre l’humanité. J’invite toutes les ONG qui luttent contre l’industrie nucléaire et qui disposent de suffisamment de données et de ressources pour engager un bras de fer juridique, à faire de même. Il faut amorcer le mouvement à ce niveau-là.

___

1 De l’aveu même des généraux Eisenhower et MacArthur. Ainsi peut-on lire dans les mémoires d’Eisenhower : « En 1945, le secrétaire de la guerre Stimson, alors en visite dans mon quartier général en Allemagne, m’informa que notre gouvernement était en train de préparer le largage d’une bombe atomique sur le Japon. J’étais de ceux qui avaient le sentiment qu’il devait y avoir un certain nombre de raisons valables pour mettre en doute la sagesse d’un tel acte. Durant son exposition des faits importants, je fus empli d’un sentiment de tristesse et fis part de mon profond désaccord, tout d’abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà battu et que le bombardement était complètement inutile, ensuite parce que je pensais que notre pays ne devait pas choquer l’opinion mondiale par l’utilisation d’une bombe que je ne pensais pas nécessaire pour sauver la vie des Américains. » (The White House Years : Mandate for Change, 1953-56, Garden City : Doubleday, p. 312-313)

2 Armée française en tête (http://www.reporterre.net/spip.php?article3816).

3 L’usine de La Hague a reçu l’autorisation de rejeter 1 000 fois plus de radionucléides qu’une centrale nucléaire. Les fonctionnaires qui ont délivré cette autorisation mériteraient d’être poursuivis pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Voir Jean-Jacques Delfour, La condition nucléaire (Montreuil, L’Échappée, 2014), p. 80, n. 66 ou encore cette étude réalisée par la CRII-RAD pour Greenpeace en 1994-95. (http://www.criirad.org/actualites/communiques/rapports-etudes/grnc/annexe1-1.pdf)

4 Les tenants de cette vieille croyance se rencontrent aussi en nombre chez les experts des agences de sécurité sanitaire (http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/04/11/la-seconde-mort-de-l-alchimiste-paracelse_3158427_1650684.html), comme par hasard. Tout conflit d’intérêts est évidemment à exclure.

5 Je reprends le distinguo fait par J.-J. Delfour : « J’entends par "nucléocrates" tous ceux qui, par leur métier ou leur capacité d’influence dans le domaine technique, scientifique, politique, administratif, diplomatique, industriel, font directement que le nucléaire existe, qu’il soit "militaire" ou "civil", c’est-à-dire ceux qui conçoivent, financent, construisent des machines nucléaires qui existent réellement. J’entends par "nucléologues" tous ceux qui déclarent s’y connaître dans les machines atomiques, soit en tant que praticiens (ingénieurs, techniciens et ouvriers du nucléaire), soit en tant qu’adeptes du nucléaire qui s’estiment fondés à intervenir toujours en défense. » (op. cit., p. 15, n. 9)

6 En appelant bikini un maillot de bain deux pièces, Louis Réard, son inventeur, a voulu rendre hommage au spectacle orgasmique du champignon atomique s’élevant au-dessus de l’atoll du même nom. « Every sperm is sacred », chanteraient les Monty Python…

7 La périodicité du plutonium 239, l’un des radionucléides les plus mortifères, est de 24 000 ans, nous disent, volontiers rassurants, les nucléologues. Au vrai, au bout de 24 000 ans, la moitié des atomes de plutonium 239 se sera désintégrée. 24 000 ans plus tard, la moitié de cette moitié aura connu le même sort. À l’horizon de 96 000 ans, il ne restera qu’un peu plus de 6 % du nombre initial. La belle affaire quand on sait qu’un millième de gramme de plutonium 239 inhalé vous envoie en cancérologie et qu’un centième de gramme vous envoie ad patres ! Il y avait en 2010 80 tonnes de plutonium à La Hague. Ces 80 tonnes pourraient fournir 8 milliards de doses létales. Avis aux riverains.

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